Petit-déjeuner de l’inclusion numérique #8
A l’heure où la santé entre pleinement dans l’ère du numérique, une conviction s’impose : le numérique est un outil, pas une finalité. Depuis février 2025, l’ARS Hauts-de-France, le CCAS et la Ville de Roubaix sont engagés dans un programme d’actions pour soutenir et impulser des dynamiques d’inclusion numérique en santé sur le territoire.
Dans ce contexte, la huitième édition du Petit-déjeuner de l’inclusion numérique s’est tenue, le vendredi 14 mars 2025, autour du thème Numérique en santé : un enjeu d’inclusion et de proximité, un sujet presque autant plébiscité que la cybersécurité par les participants lors de l’évaluation réalisée du 18 octobre au 15 novembre 2024.
Accueillie sur le site Tissel, cette rencontre a constitué un moment privilégié pour interroger, avec rigueur et ouverture, les liens entre technologie et santé, et plus particulièrement les voies permettant d’assurer à tous un accès équitable aux soins et aux droits autant qu’aux outils numériques dans ce domaine.
A cette occasion, représentants institutionnels, médiateurs, et responsables associatifs locaux ont échangé et travaillé de concert, réunis autour d’une question centrale : que devient la santé lorsque s’invite le numérique ?
Un programme riche en enseignements
La matinée s’est ouverte par un atelier interactif animé en collaboration avec la SCIC Les Assembleurs, où les participants, répartis en quatre groupes, ont exploré l’extension Numérique en santé du Puzzle de la médiation numérique afin recueillir les spécificités locales indispensables à la création d’une version adaptée aux pratiques et ressources du territoire de Roubaix. Cette séance participative a ensuite cédé la place à plusieurs temps forts qui ont illustré de manière concrète les efforts menés localement pour rendre le numérique en santé accessible à tous :
- La présentation de la communauté des Ambassadeurs Mon espace santé, portée par le GRADeS Inéa Sant& Numérique Hauts-de-France ;
- La mise en lumière des initiatives locales, avec la présentation du réseau des Maisons Nord Solidarités de Roubaix, des Relais autonomie, du bus France Services et du Service Prévention Santé, assurée par le Département du Nord ;
- La présentation du réseau Médiation Santé de Roubaix, proposée par le CCAS de Roubaix.
Dans un contexte de transformation numérique impliquant patients, professionnels et institutions, ces échanges ont fait émerger des préoccupations plus larges, partagées au niveau régional et national.
Numérique et santé : une transition à enjeux multiples
Le secteur de la santé, à l’instar des autres domaines sociaux et économiques, est confronté à une transition numérique rapide et profonde. Cette évolution, portée par des acteurs publics et privés en quête d’innovation et de performance, ouvre des perspectives intéressantes pour améliorer la qualité des soins et renforcer l’autonomie des patients.
Cependant, les témoignages recueillis lors de la rencontre confirment que cette transformation soulève des défis majeurs. Dans un écosystème où certains acteurs privés jouent désormais un rôle incontournable, se posent notamment des questions d’équité d’accès, de prise en compte de la précarité numérique et de protection des données personnelles. Le risque d’accentuer les inégalités existantes est réel.
Comment les outils numériques peuvent-ils améliorer l’accès aux soins et la coordination entre les acteurs de la santé, sans aggraver les situations d’exclusion déjà vécues par les populations les plus précaires ?
La transformation numérique en santé : un défi pour tous
Les discussions de mars ont confirmé que pour beaucoup – patients ou professionnels de santé – la maîtrise des outils numériques reste un défi majeur. Si la téléconsultation, généralisée à partir de 2018, a connu un essor significatif depuis la crise sanitaire de 2020 et facilité l’accès aux soins, elle ne devrait toutefois pas se substituer à la relation humaine, déjà bouleversée par la dématérialisation des prises de rendez-vous (Doctolib, Maiia, KelDoc, etc.) et des dossiers médicaux (dossier médical personnel devenu dossier médical partagé, ou DMP).
Or, avec l’avènement d’outils comme Mon espace santé, qui centralise les données médicales, le patient est désormais invité à devenir pleinement acteur de sa santé : à s’approprier les informations qui le concernent, à les organiser, et aussi – d’une certaine manière – à les partager. Dispose-t-il pour autant des moyens et des capacités nécessaires pour appréhender les enjeux inhérents à cette nouvelle responsabilité ? Les retours d’expérience locaux montrent que la réussite repose largement sur un accompagnement adapté.
Données de santé : entre intérêt collectif et responsabilités individuelles
En partageant ses données de santé, l’usager ne gère pas seulement son propre parcours de soin personnel : il contribue aussi à enrichir un système d’information collectif. Anonymisées puis agrégées, ces données permettent de mener des analyses médicales ou sanitaires utiles pour mieux comprendre l’efficacité des traitements, les pratiques de soin ou les dynamiques de santé territoriales.
Ces données ont une valeur importante en tant que ressources partagées au service de l’intérêt général, mais elles n’en demeurent pas moins sensibles. Leur utilisation ne devrait en aucun cas être guidée par des intérêts purement économiques. Partagées en toute transparence, elles peuvent améliorer les soins, enrichir la recherche et orienter les politiques publiques. Néanmoins, leur utilisation, leur protection et leur accès soulèvent des enjeux liés au consentement, à la sécurité et à l’éthique.
La médiation : un levier indispensable
L’expérience roubaisienne, mise en lumière lors de cette journée, montre que l’enjeu principal réside dans l’appropriation des outils. Il s’agit de permettre à chaque citoyen d’utiliser et de tirer pleinement parti de ces technologies. Répondre à ce défi d’usage requiert un effort collectif de pédagogie et d’inclusion, ainsi que l’instauration d’un dialogue citoyen autour de la donnée de santé.
Face à ce constat, la médiation se révèle un levier indispensable. A Roubaix, la rencontre entre médiation numérique, écrivain public et médiation en santé esquisse les contours d’une médiation intégrée, qui offre un accompagnement global, à la fois technique et humain. L’écrivain public, le conseiller numérique et la médiatrice en santé deviennent les garants d’un filet de sécurité, d’écoute et de clarté pour l’usager.
Pour une approche territoriale concertée
Les enseignements de cette rencontre convergent : pour éviter d’être perçu comme une contrainte, le numérique en santé doit être co-construit, au service de l’humain, en tenant compte des droits, des besoins et des fragilités de chacun. Dans ce contexte, la médiation joue un rôle essentiel, apportant les compléments indispensables face à une démarche de co-design encore incomplète.
Dans cette optique, le programme des Ambassadeurs Mon espace santé pourrait représenter un levier structurant pour mettre en valeur l’expertise des médiateurs de terrain, leur offrir un cadre de reconnaissance, et renforcer leur action auprès des publics les plus précaires. Cette initiative viendrait consolider la médiation de proximité déjà en place, en réponse aux besoins concrets d’accompagnement identifiés sur le territoire.
L’avenir du numérique en santé se dessine ainsi dans cette articulation entre innovation technologique et médiation humaine, entre efficacité des outils et équité d’accès, entre transformation des pratiques et préservation du lien social.